Tous les ans, à partir du premier dimanche du mois de janvier, on fête l'Épiphanie ou Jour des Rois. Et chaque année c’est le même débat : galette des Rois dans le Nord, couronne des Rois dans le Sud. Il y a, d'un côté, les adeptes de la pâte feuilletée à la frangipane en forme de galet – d'où son nom –, et de l'autre, les amoureux de la brioche à la fleur d’oranger et aux fruits confits semblable à une couronne. Pourtant, Michel Fabre (1), artisan boulanger pâtissier met tout le monde d’accord : «Une bonne galette, c’est un produit fait avec les meilleurs ingrédients possibles, quelle que soit la méthode et la recette de l’artisan». C'est dit.

D'abord une pâte " feuillée "

Selon Nadine Cretin (2), historienne des fêtes, on retrouve la trace de la première galette en pâte feuilletée en 1311, à Amiens, grâce à Robert II de Fouilloy, évêque d’Amiens. «C’est alors un gâteau "feuillé" – sans fourrage. La veille des Rois, on y enfermait une véritable fève (la légumineuse) pour désigner un roi. Ce n’est qu’au XVIe siècle que le petit objet devient une pièce de monnaie, puis d'autres symboles porte-bonheur en porcelaine de saxe en 1875», nous explique-t-elle. Pourtant, cette symbolique, qui consiste à élire un roi, serait encore plus ancienne. «À l'époque des Saturnales romaines, lors de grands banquets, on élisait un roi avec des osselets ou des dés. Celui-ci pouvait ensuite distribuer des ordres ou des gages», continue l'historienne. Il ne s'agit pas encore d'un gâteau. Et si vous vous demandez pourquoi une pâte feuilletée au Nord, et une brioche au Sud, c’est tout simplement une affaire de produits régionaux.

Une histoire de région

Alors que dans le Nord, la galette de pâte feuilletée se développe et s’impose dans de nombreuses régions de France, «la Provence reste attachée à ses habitudes», affirme Nadine Cretin. Ainsi, dans le sud de la France, il n'est pas question de galette mais de gâteau des Rois. Les boulangers et pâtissiers de Provence, du Languedoc et d'Aquitaine proposent une brioche des Rois avec des ingrédients qu'ils ont à proximité dont ils sont fiers : la fleur d'oranger et les fruits confits. Et pourquoi une brioche et non une pâte feuilletée ? «Le beurre doit être dur pour faire un feuilletage, il est donc difficile de le travailler à cause de la chaleur», assure l'artisan Michel Fabre. «La forme de couronne, quant à elle, a peut-être été influencée par le dessert de Noël des Espagnols et des Portugais, semblablement identique», pense Nadine Cretin. Dans tous les cas, pour nos deux experts, cette spécialité du Sud part de l'artisanat local et s'est développée naturellement dans chaque région.

" Gâteau à la Chaudière ", " royaume " ou " garfou "

Mais quel sud ? «Cela a commencé dans le midi, au XIXe siècle, et maintenant, on consomme ces brioches aux fruits confits jusqu’à Lyon et Bordeaux», nous explique Nadine Cretin. Des noms qui varient selon les régions, d'après notre historienne des fêtes : «gâteau à la Chaudière en Champagne-Ardennes, royaume en Provence, dans le Languedoc et en Aquitaine, pogne ou épogne dans le Dauphiné, galfou ou garfou en Gascogne et dans le Béarn...». «L’Épiphanie est une fête nationale et la galette, une spécialité régionale», résume Michel Fabre. Question ventes, l'artisan boulanger-pâtissier francilien vend «90 % de frangipanes». À Poitiers et à Nantes, c'est 50-50. À Bordeaux, c'est la brioche qui l'emporte – on l'appelle d'ailleurs «couronne bordelaise». Et à Toulouse, il se vend huit brioches contre deux frangipanes (3).

Nombreux sont les «Sudistes» habitant dans le nord de la France qui sont nostalgiques de leur couronne briochée. Pas de panique : «On trouve les deux produits chez tous les artisans. On peut facilement se procurer des galettes dans le Sud, et encore plus facilement des brioches dans le Nord», assure Michel Fabre. Même si tout cela s’en tient à l'endroit où l'on vit, c’est aussi une question de goût. «Ce qui plaît dans la frangipane, c’est le croustillant de la pâte, le fondant de la crème et le goût caramélisé. Dans la brioche, c’est le moelleux que l’on recherche et la gourmandise du sucre», complète notre artisan. Pour les indécis, ce dernier propose un entre-deux : «On fait des galettes feuilletées avec des fruits secs dans la crème d’amande, et c’est un réel succès». Mais que tous les fabophiles – collectionneurs de fèves – se rassurent, il y en a bel et bien dans les deux.

(1) Michel Fabre, artisan boulanger pâtissier, boulangerie Michel Fabre, 168 rue Paul Vaillant Couturier, 94140 Alfortville. Tél. : 01 43 75 15 19.
(2) Nadine Cretin, auteure de 
Fêtes de la table et traditions alimentaires, éditions Le Pérégrinateur (2015) et de Lettres de Noël, éditions Le Robert (2015).
(3) D'après On va déguster : la Francepar François-Régis Gaudry, éditions Marabout, 432 pages, 39 €.

Cet article a fait l'objet d'une mise à jour et a été publié le 19 décembre 2017.